Chronique d’un dommage collatéral


Envie d’écrire, mais je ne sais jamais par où commencer. Envie de raconter notre histoire, moi « l’écrivaine », moi qui ai toujours su manier les mots. Mais voilà, je n’y arrive pas. Il m’est arrivé de lire, ou d’écrire, ces drames indicibles, ces douleurs inexprimables… Telle une enfant capricieuse qui joue avec l’arme de son père, écrire sur ce qui est au-delà des mots. J’évoquais cela comme on théoriserait une partie reculée de l’univers ; ça existe, sans aucun doute, mais quant à savoir exactement à quoi ça ressemble…

Aujourd’hui, je sais.

Aujourd’hui, je sais, et c’est précisément grâce au traumatisme des proches des victimes que l’État a pu continuer son œuvre mortifère sans être inquiété. Parce que quand la douleur est trop forte, on se tait. On se tait pour ne pas hurler. On se tait pour ne pas s’effondrer. On se tait parce que le moindre mouvement nous cause d’affreuses souffrances.

J’ai voulu écrire et témoigner tant de fois. Je voulais y mettre toute la force de mes mots, je voulais écrire l’hommage que mon mari, mon amour, aurait mérité. Je voulais écrire un témoignage poignant mais apolitique, impartial mais émouvant, un témoignage suffisamment factuel pour ne pas risquer le moindre discrédit, un témoignage qui frapperait enfin les esprits, les gens, et sortiraient tous ces drames de l’indifférence. Je voulais qu’on puisse lire cela sans y inscrire le moindre biais : anti-vax, complotiste, covido-sceptique…

Je réalise petit à petit que ce n’est pas possible. Car, au fond, j’ai des opinions, j’ai des idées, et j’ai des émotions. Ces mêmes émotions qui ont bien failli me tuer. Je réalise qu’un témoignage a non seulement le droit d’être partial, mais qu’il doit l’être. Car sans émotions, sans un minimum d’émotions, la justice elle-même devient inhumaine, simple technicienne des lois et de leur application la plus absolue. Et il me semble qu’un monde sans nuance est le terreau idéal du totalitarisme.

Alors oui, je témoignerai avec mes tripes et mes convictions. Je crois que la partialité vaut toujours mieux que le silence. En outre, ces dernières ne me semblent pas déraisonnables : bien que j’ai des opinions politiques en matière de santé publique, elles vont bien au-delà du vaccin, et là n’est pas vraiment la question. La question, c’est la science. Je voudrais, je réclame, un avis scientifique indépendant de tout conflit d’intérêts sur les effets secondaires de cette vaccination de masse, et en particulier en ce qui concerne la mort de mon mari.

Mars 2020

Confinement. Comme toutes les personnes qui n’exerçaient pas un métier nécessitant absolument d’être maintenu, nous sommes confinés. Je tiens à me tenir loin des écueils guerriers employés par notre président. La communication est un mensonge comme un autre, dont les médias se sont faits, en toute connaissance de cause car c’est leur métier, les joyeux perroquets. De fait, la définition même des métiers essentiels est rapidement devenue discutable quand des gens se sont mis à courir après un vaccin pour pouvoir retourner au restaurant ou au cinéma.

Eric était conducteur de cars et réalisait, entre autre, des lignes scolaires. En dépit du fait qu’il fut confiné, son métier était indispensable, en particulier dans nos campagnes !

Le confinement se passe bien. Nous sommes une famille unie, portée par l’amour profond que nous éprouvons l’un pour l’autre, et les seuls moments un peu pénibles sont les devoirs de nos deux fils, alors en quatrième et seconde.
En mai, déconfinement. Ça fait du bien de pouvoir mettre le pied dehors. Mes beaux-parents en profitent pour descendre de Paris et venir en Auvergne où nous vivons : ce sera notre dernier moment paisible avec eux.

L’été, masqués. Nous consentons à ce petit désagrément. Les chiffres du Covid, les articles et – encore une fois – la rhétorique politique ne nous permettent pas d’avoir une opinion tranchée sur la question. Mettre des masques ne nous coûte pas grand chose, alors nous le faisons, même si clairement, nous sommes très loin de craindre ce virus.

L’automne devient plus difficile. Notre fils aîné a souffert du premier confinement et démarre l’année de première avec un retard dans ses apprentissages. Très vite, le système de cours en « semi-présentiel », une semaine sur deux, se met en place. Ce sera une catastrophe pour ses résultats scolaires, ce qui le conduira à redoubler sa première. De notre côté, Eric et moi voulions nous ré-inscrire à notre club de danse sur glace, mais les restrictions nous empêcheront d’en profiter.

Néanmoins, nous essayons, comme la grande majorité des gens, de nous en accommoder, et nous ne remettons pas ou peu en question le discours politico-médiatique autour du Covid. Optimiste, je reste très longtemps persuadée qu’aucun gouvernement au monde n’aurait quoique ce soit à tirer de mensonges autour d’un virus. La seule crainte que j’éprouve, c’est l’idée que les gouvernements mondiaux, et en particulier le nôtre surfant si souvent sur la théâtralisation médiatique, se soient un peu emballés au sujet de ce virus et de sa létalité, mais que leur fierté et/ou les enjeux politiques ne leur permettent pas de rétropédaler et d’admettre leurs torts. Pourtant, je reste assez persuadée qu’une population mature et éveillée serait parfaitement encline à accepter les erreurs de bonne foi de ses dirigeants, en particulier dans une situation aussi inédite. Mais le rêve n’est pas la réalité, la société est plus manichéenne que ça, et la politique est sale. Je me persuade néanmoins que tout ça finira par passer, et qu’après tout, nous ne sommes pas les plus à plaindre.

C’est dans ces moments-là que j’ai envie de faire une pause dans ma narration. Parce que les mots sont insuffisants pour exprimer le bonheur serein que nous nous étions construit. Parce que j’ai toujours cette impression que ce que j’écris est très en-deçà de la réalité que nous vivions. Parce que j’aurais aimé que notre amour touche toutes les personnes qui liront ces lignes, qu’elles y voient plus qu’une famille moyenne, sans éclat et sans grand intérêt.

Pourtant, c’était précisément ce que nous étions : une famille moyenne sans éclat et sans grand intérêt. Comme 90% des gens, en fait. C’était notre famille à nous, notre petit bonheur tranquille, notre amour paisible. Il serait faux, bien sûr, de prétendre que je n’idéalise pas notre vie ; il s’agit d’un biais psychologique relativement incontournable lors d’un deuil. Toutefois, il serait tout aussi faux de faire l’impasse sur l’amour profond et sincère que nous nous portions. Nous avions 33 et 38 ans, 4 enfants, en couple depuis près de 20 ans et mariés depuis quasiment 15 ans, mais aucune routine n’était venue éroder nos sentiments l’un pour l’autre. Nous étions fusionnels, démonstratifs et merveilleusement accordés. Nous étions de ceux qui s’appellent, s’envoient des messages, de ceux qui se manquent durant une journée de travail. Lorsque Eric rentrait, nous nous serrions longuement dans les bras, aussi tactiles l’un que l’autre.

Bref, nous avions la chance d’être resté un « vrai » couple, en dépit des enfants et des épreuves que la vie nous avait d’ores et déjà infligées (notamment la perte, à l’âge de 4 mois, de notre troisième enfant).

Cette parenthèse refermée, revenons en au témoignage.

Nous sommes en 2021. Au premier janvier, nous n’avons pas osé nous souhaiter bonne année ; ce n’est de toute façon pas une coutume que nous affectionnons, notre fille étant morte un 31 décembre.

Très vite, on entend parler de vaccins. Pfizer, Moderna, AstraZeneca… Des vaccins à ARN messager, technologie que nous ne connaissions pas, comme la grande majorité de nos concitoyens, et que nous découvrions à travers des articles de presse orientés, des affrontements politico-scientifiques, et des messages effarants sur les réseaux sociaux.

Je ne peux pas prétendre que ça ne m’inquiète pas, en particulier après la mort de ce jeune interne en médecine après l’injection d’une dose d’AstraZeneca, mais je sens confusément que de toute façon, en la matière, notre destin risque fort de nous échapper. Je ne suis ni pire ni meilleure qu’une autre, et en l’absence de sources d’information claires, fiables, exhaustives et dénuées de conflits d’intérêt, sans parler des lignes éditoriales et des orientations politiques, j’estime qu’il m’est impossible de me faire une opinion valable sur le vaccin. J’estime alors ne pas être en mesure de faire un choix libre et éclairé, et après discussions et moult tergiversations avec Eric (où nous avons failli prendre rendez-vous deux fois dans un centre de vaccination, pour dire à quel point nous n’étions pas contre « par principe »), nous choisissons de reporter notre décision après nos vacances.

Le 10 juillet, nous partons en Normandie. Le 11, nous fêtons les 6 ans de notre petite dernière. Ce sera le dernier anniversaire en famille. Le 12 juillet, c’est le coup de tonnerre.

Le discours d’Emmanuel Macron nous sidère. Nous sommes tout d’abord remplis de stupeur, puis rapidement, entre deux spots de propagande pro-vaccins, la colère émerge. Nous ne sommes pas vaccinés, alors nous ne pourrons pas aller au cinéma voir le premier volet de Kaamelott que nous attendions depuis longtemps, ni aller dans le parc d’attractions dans lequel nous avons coutume d’aller chaque année en famille. C’est agaçant, d’autant que nous nous sentons réellement en besoin de divertissements, mais on a parfaitement conscience que ce n’est pas la fin du monde. Cela n’annihile pas nos questionnements, n’efface pas nos hésitations. Cela ne change rien au fait que nous nous sentons toujours dans l’incapacité de faire un choix libre et éclairé.

Mais d’ailleurs, c’est bien le problème. Le discours du président nous le dit très clairement : notre choix, c’est le cadet de ses soucis. Il ne nous demande pas de choisir, non, il nous demande d’obéir. La façon dont nous – les « pas encore vaccinés » – sommes traités, désignés, est vraiment révoltante. D’autant plus révoltante que jusqu’ici, nous nous sommes pliés à toutes les injonctions gouvernementales, des plus folles aux plus raisonnables, suivant le sens des ministres-girouettes sur lesquels reposaient des décisions essentielles pour notre pays. Mais au-delà de la révolte, il y a autre chose.

Dans ma tête, une alarme s’enclenche. Ce discours est très préoccupant, et dès le lendemain, tandis qu’Eric, par crainte de se voir interdit d’exercer son métier à la rentrée, cherche des créneaux de vaccination disponibles, je me procure une demi-douzaine de journaux aux lignes éditoriales variées, et ce afin d’essayer de comprendre ce qui se joue.

Car en fin de compte, il m’apparaît comme assez évident qu’aucun chef d’Etat ni aucun gouvernement ne peut ainsi traiter ouvertement une partie de sa population sans une raison profonde, vitale, évidente, indiscutable. Je lis les détails sur le variant Delta qui sévit alors en Inde, et les comparaisons hasardeuses des médias les plus sérieux (est-ce que l’Inde et la France ont la même population, les mêmes infrastructures, les mêmes politiques…?). Je suis abasourdie.

Encore une fois, je me demande où se trouve l’information, celle qui ne serait que factuelle, qui ne ferait ni dans le sensationnalisme, ni dans l’alarmisme, ni dans la surenchère. Ce ne sont plus des articles de presse que je lis, mais une succession sans fin d’édito.

Eric, quant à lui, trouve un créneau de vaccination : ce sera le 26 juillet à 11h. Nous ne le savons pas encore, mais ce jour-là sera le jour de sa mort.

Nous passons les vacances dans un état étrange, à mi-chemin entre lâcher-prise et tensions. Nous avons décidé de nous éloigner au maximum des informations, de la radio, et de la télévision où les spots de propagande pour le vaccin sont si nombreux que ça en devient pavlovien. Nous nous tenons également éloignés d’internet et de ses infos hasardeuses, des réseaux sociaux et de leurs prises de parole douteuses. Pour la première fois de ma vie, je me tiens même à l’écart des discussions amicales et familiales. Je ne demande à personne autour de moi ce qu’il en pense, ni ce qu’il projette de faire. Je suis empêtrée dans un mélange d’angoisse, d’indécision, de colère et d’incompréhension assez peu propice à la prise d’une décision calme et éclairée. De surcroît, l’impossibilité d’accéder à des informations cohérentes et objectives me rend dingue. Jusqu’au bout, je continuerai à acheter des journaux en pagaille que je lirai compulsivement à la recherche d’une clef de compréhension que jamais je ne trouverai. Je tiens, d’ailleurs, à préciser que je ne cherchais aucune info orientée. Je ne cherchais pas à me convaincre que le vaccin était mauvais, ni qu’il était bon. Je voulais comprendre ce qui poussait le gouvernement à de tels extrêmes et essayer de prendre les décisions qui protégeraient au mieux notre santé individuelle et collective.

Nous rentrons le 24 juillet après avoir fait un crochet par Paris où nous avons passé une nuit chez ma mère. Pro-vaccin, cette dernière a déjà reçu deux doses d’AstraZeneca, et ma sœur et mon frère, 16 et 17 ans, ont eu leur première dose Pfizer. Nous ne discutons du sujet que pour vanter les mérites indiscutables de la vaccination. La sincérité de mon opinion se heurte à ma volonté persévérante de préserver la paix entre nous. Là où ma mère a décidé d’avoir des certitudes, je me sens remplie de doutes que rien ne peut éclairer, et qui me terrorisent.

Je crois qu’il n’y a rien de pire que de sentir cette forme si particulière de panique médiatique, d’hésitations étatiques, de décisions erratiques, de contradictions et de mensonges, de semi-vérités et de cynisme, le tout noyé dans un discours martial et accusateur, et de devoir prendre une décision pour sa santé et celle de ses enfants. Mais cela, nous l’avons tous vécu. Je pense même que c’est pour cette raison qu’aujourd’hui, la question des vaccins est devenue taboue ; trop de gens ont vécu ces jours, ces semaines, dans un brouillard médiatique où leur consentement leur a été arraché de force d’une manière ou d’une autre, que ce soit par le biais du matraquage de propagande, ou par les obligations vaccinales plus ou moins officielles et plus ou moins assumées. Ce qui se joue aujourd’hui dans l’opinion publique n’est rien de moins que les effets d’un choc post-traumatique de viol de consciences : votre consentement, on vous l’a dérobé, et il n’y avait que deux façons de réagir à ça ; défendre vos bourreaux ou affronter l’injustice. Le combat est terriblement dur, et je ne souhaite ici porter de jugement sur personne. Nous avons toutes et tous fait du mieux que nous pouvions avec ce que nous avions entre les mains comme informations, injonctions, peurs personnelles, expériences, poids familial, etc…

Le matin du 26 juillet, j’entends à la radio que le pass sanitaire pourrait être suspendu au 15 novembre, date à laquelle l’état d’urgence prendra fin. Même si je crains une prolongation de ce dernier, je me dis que ça vaudrait peut-être le coup de patienter encore un peu, ne serait-ce que pour ne plus avoir l’impression de prendre cette décision dans l’urgence, dans un contexte de pression et d’émotions exacerbées.

Je n’ai cependant pas le temps d’en parler à Eric. Nous devions nous rejoindre au centre de vaccination où nous avions tous les quatre rendez-vous, lui, moi et nos deux fils de 14 et 16 ans. Nous arrivons en retard et nous nous trompons d’abord d’endroit. A plusieurs reprises, je manque de dire à Eric que c’est peut-être un « signe » qu’il vaut mieux renoncer, y revenir plus tard. Je n’aime pas trop ces considérations intuitives, et pourtant… Je n’arrive pas à me départir de la sensation que « quelque chose » cloche, que des alarmes ne sont pas entendues, et que cela aura un coût.

Je tiens tout de même à préciser que les sensations que je décris ne sont pas exagérées ni influencée par le malheur qui a suivi. Le fait est qu’Eric nous avait pris rendez-vous à tous les quatre, et qu’il fut le seul à s’y rendre. L., notre fils de 14 ans, fut le premier à renoncer, préférant attendre, et S., 16 ans, plutôt scientifique et cartésien, pourtant en besoin intense de sorties et de normalité, y a également renoncé la veille. Quant à moi, j’ai vraiment hésité jusqu’au dernier moment. Je me revois, assise dans ma voiture tandis qu’Eric était dans le centre de vaccination. J’essayais une dernière fois de peser le pour et le contre ; je me répétais que les quelques personnes de mon entourage qui avaient fait le vaccin n’avaient pas eu d’effets secondaires notables, que je n’avais aucune raison d’avoir peur. Pourtant, à cet instant là, alors que j’hésite furieusement, je réalise que je suis terrifiée. Littéralement. Jamais de ma vie je n’ai eu aussi peur d’un acte médical. Une boule dans mon ventre gêne ma respiration, j’ai une impression funeste, il n’y a pas d’autres mots.

Alors, j’appelle Eric et je lui avoue que je ne le sens pas, que je ne le ferai pas tout de suite. Il est déçu, je l’entends dans sa voix, il tente de me rassurer. Mais je lui dis clairement que ce n’est pas la piqûre qui m’angoisse, mais les effets secondaires possibles. Je n’avais toutefois lu à ce sujet que des articles rassurants, de médecins plutôt pro-vaccins, comme une façon de me faire ma propre petite auto-propagande et d’éviter, justement, de ne pas y aller pour de mauvaises raisons.

Je finis par m’excuser auprès d’Eric, je lui promets que je reprendrai rendez-vous, probablement à la rentrée. Il ne me reproche rien, me dit juste de rentrer puisqu’il doit encore attendre un quart d’heure, que nous nous retrouverons à la maison.

Sur le chemin du retour, je me sens mal. Je me sens nulle, lâche, idiote. Un sentiment de culpabilité brûlant s’empare de moi – et ne me lâchera plus jamais. J’essaye de me raisonner mais il faut dire que rien ne m’y aide vraiment. La dernière fois que j’ai ressenti un tel instinct inexplicable, c’était lorsque notre fille était hospitalisée. On m’avait fait sortir de la chambre quelques instants, le temps de lui poser une voie veineuse. J’avais eu un élan à ce moment-là, comme un besoin intense de lui faire un « dernier bisou ». Je m’étais stoppée de justesse, me trouvant intérieurement parfaitement ridicule. Un dernier bisou, et puis quoi encore ! Elle n’avait qu’une gastro et ils allaient lui poser une voie veineuse, vraiment pas de quoi commander un cercueil tout de suite ! Et pourtant… Dans les minutes qui ont suivi, son cœur s’est brusquement arrêté de battre. Elle est morte le lendemain, et jamais je ne lui aurai fait ce fameux dernier bisou.
A la maison, je ne suis pas tranquille. Je guette le retour d’Eric, j’ignore alors que ce sera son dernier retour à la maison. Il arrive, pose sa feuille de vaccination sur la table. « A nos obéissances non consenties ! » Je sais qu’il n’est pas satisfait, qu’il a « renoncé » à quelque chose en faisant ce vaccin, qu’il a cédé. Même s’il n’est pas du genre à s’apitoyer sur son sort ni à s’attarder sur ce genre de considérations, le fait que je me sente aussi mal par rapport à tout ça doit sans doute exacerber ses propres émotions.

A plusieurs reprises ce jour-là, je lui demanderai si ça va. A chaque fois, il me répondra par l’affirmative.

Vers 14h30, nous partons avec L. pour lui acheter un ordinateur, promesse de longue date pour le récompenser de ses excellents résultats scolaires. Juste avant de partir, je me suis assise près d’Eric qui se reposait sur le canapé en attendant son service du soir. Je lui ai caressé le visage et m’apprêtais à lui demander si ça allait, il m’a devancée dans un sourire : « ça va, t’inquiète pas ! » Je me suis excusée, avouant que je risquais de lui demander ça toutes les demi-heures durant les trois prochains jours ! Je l’enquiquinais un peu avec ma trouille des effets secondaires, mais c’était plus fort que moi. Il m’a alors prise dans ses bras. « Un petit câlin… » Je me suis échappée de son étreinte et je suis partie en lui lançant un « plus tard ! » désinvolte. J’étais si sûre de notre éternité… Je ne sais même plus si je l’ai embrassé à ce moment-là… Je ne me souviens plus de notre dernier baiser.

Nous avons acheté le fameux ordinateur que L. a laissé sous emballage ; il voulait le déballer et le configurer avec son père le soir même. Eric m’avait dit qu’il rentrerait entre 18h et 18h30, je me souviens avoir regardé l’heure vers 18h15 et m’être dit que ce serait donc plutôt la demie. Je n’étais pas inquiète, j’étais habituée aux horaires variables.

Et pourtant… ils ont dû arriver environ cinq minutes après que j’ai regardé l’heure, et que je me sois fait cette réflexion anodine. Ils ont toqué discrètement, si bien que même notre chienne n’a pas aboyé, elle qui aboie dès que quelqu’un passe dans notre rue. C’est moi qui ai relevé la tête. « On a frappé là, non ? » L. est sorti sur le balcon pour vérifier. Il est rentré avec la bouille un peu fermée. « Maman, c’est pour toi. C’est les gendarmes… » Je suis sortie à mon tour. Là encore, je n’avais pas peur. Ils étaient deux, masqués, et il y avait une dame du conseil municipal que je connaissais de loin avec eux. J’ai tout de suite pensé à un truc basique : peut-être que ma voiture était mal garée et gênait, peut-être qu’un voisin s’était plaint de quelque chose, peut-être qu’il y avait des cambriolages dans le coin et qu’ils venaient faire de la pédagogie, peut-être qu’il était arrivé quelque chose à quelqu’un et qu’ils faisaient une enquête de voisinage. Tant de raisons… Ils m’ont demandé de descendre.

Lorsque je leur ai ouvert, j’ai commencé à avoir peur. Ils m’ont demandé si j’étais bien Elisabeth B. Oui. Est-ce qu’il y aurait un endroit où on pourrait parler au calme ? Sans les enfants ?

Pourquoi sans les enfants, bon sang ? Vous ne voulez pas me dire ce qu’il y a ? Non ? Pfff, bon, je vais les faire monter…

Je me plie à leur demande parce qu’ils sont flics, pas parce que j’ai peur. Je trouve qu’ils font bien des manières… Pourtant au fond de moi, une boule s’est formée dans mon ventre, la même que ce matin. Comme si mon corps avait compris avant moi. Je remonte. Je souris aux enfants, leur demande de monter. Ils le font sans discuter. Je ne sais pas du tout s’ils ont été inquiets ou pas. Des histoires de voisinage, dans notre village, il y en avait largement assez pour qu’ils ne pensent pas à un drame tout de suite. J’ai refermé la porte du salon, je suis redescendue chercher les gendarmes et la dame de la mairie. Je les ai fait entrer.

Je n’ai jamais aimé faire entrer des gens chez moi. J’ai toujours l’impression que ma maison n’est pas assez bien rangée, pas assez propre. Toujours cette sensation d’empiétement sur mon territoire… En montant les escaliers, je leur demande s’ils souhaitent que je mette un masque. L’un des gendarmes me répond que ce ne sera pas la peine. C’est là que j’ai commencé à avoir peur. Il y avait trop de sollicitude dans leur attitude… Ils n’étaient pas là pour me reprocher quelque chose, c’est devenu immédiatement clair. Ce qu’ils pouvaient m’annoncer, je ne peux pas dire que je n’en avais pas d’idée, mais je ne l’envisageais pas encore. Non. Ça n’était pas possible, point.

Dans la cuisine, ils ont hésité. « Les enfants sont en haut ? » « Oui. » « Ils ne peuvent pas nous entendre ? » « Non, dîtes-moi ce qui ne va pas. » « Asseyez-vous, madame. » « Non, je préfère rester debout. Dîtes-moi. » « Asseyez-vous, je vous assure. »

Je pense que quand je me suis assise, j’avais déjà les larmes aux yeux. Pourtant, je l’ai fait dans un mouvement agacé, leur jetant un « voilà ! » frondeur, comme pour cacher ma peur.

Ils se sont entre-regardés. Il y a peut-être eu quelques secondes de silence. Avaient-ils préparé quelque chose ? Sans doute. Peut-être y avait-il un gars expérimenté et un gars plus jeune. L’un devait parler en premier, l’autre soutenir. Je ne sais pas. Je sais juste qu’aux premiers mots prononcés, j’ai su que tout était terminé.
« Votre mari s’appelle bien Eric B. ? »
« Oui… »
« Il a fait un malaise cardiaque au volant de son car… »

Je n’ai pas entendu la suite. Je me suis recroquevillée sur moi-même, secouant la tête et répétant « non, non, non, non ! » Je ne pouvais plus dire ou penser autre chose. Pour le coup, je pleurais franchement. Je ne faisais plus la frondeuse. Et je comprenais pourquoi ils avaient insisté pour que je m’assois. La douleur est aussi physique que mentale. Je suis déchirée, je suis blessée à mort, tout mon corps tremble. J’ai déjà compris. Je sais que s’ils sont là, c’est qu’il n’est pas à l’hôpital, qu’il n’est pas en train d’être soigné. S’ils sont là, c’est qu’il n’y a plus d’espoir. C’est qu’ils ont constaté sa mort. Les gendarmes poursuivent.

« Il a garé son car, a été trouvé par ses collègues qui ont appelé les pompiers, le Samu, mais il n’a pas pu être réanimé. »

J’aurais voulu qu’ils se taisent. Ils se trompent forcément. Eric était en parfaite santé, c’était un sportif, un homme robuste, fort, jamais malade. Il était mon pilier, mon roc, mon phare dans la tempête. Il ne peut pas s’effondrer, il ne peut pas mourir. Ce qu’ils me disent n’a aucun sens. Je me sens comme jetée dans le vide, un vide absolu, un océan sombre et furieux qui m’engloutit. Rien n’a de sens, le ciel et la terre ne sont plus au bon endroit, le soleil est froid et sombre, la nuit ne s’arrêtera pas.

Je ne me souviens plus des détails, ma lucidité s’est mise en veille à certains moments, revenant par à-coups, comme une tentative désespérée de mon cerveau de ne pas tout lâcher. La seule chose qui me maintenait un tout petit peu à flots, c’étaient mes enfants. Je me souviens alors m’être levée pour aller vérifier qu’ils n’étaient pas redescendus. Je ne voulais surtout pas qu’ils entendent quoi que ce soit qui aurait pu les traumatiser. Je commençais à prendre conscience qu’ils allaient l’être bien assez. Penser à eux m’obligeait à rationaliser à nouveau, à faire taire l’animal blessé qui hurlait à la mort à l’intérieur de moi. C’est à ce moment-là que la vaccination m’est revenue en tête.

J’ai regardé les gendarmes et je me suis écrié : « il venait de se faire vacciner ! Ce matin même ! » Les émotions n’étaient pas très lisibles sur leurs visages, en partie à cause des masques, en partie parce que je pleurais tellement que je n’y voyais plus rien. Pourtant, je me souviens clairement que c’est à ce moment-là que j’ai acquis la certitude que la mort d’Eric avait été causée par ce putain de vaccin. Une certitude viscérale, instinctive, une évidence fulgurante qui ne m’a plus jamais quittée. Pas plus que la certitude absolue que rien ne serait jamais prouvé, qu’aucune main tendue ne viendrait des décideurs, ni même des personnes censées assurer la veille sanitaire. Comme pour l’intuition qui m’avait poussée à ne pas y aller, ce que je ressentais était – et est toujours – inexplicable. Pourtant, j’ai la conviction chevillée au corps que c’est la vérité.

Et de fait…

Les gendarmes sont rapidement partis. Je me souviens m’être sentie choquée en les entendant dire « bon ben on va y aller, nous ». J’avais envie de leur demander s’ils se fichaient de moi. Envie de les supplier encore. Envie qu’ils me rendent mon mari. J’ai demandé si je pourrais le voir, ils m’ont répondu que oui, il n’y avait pas de raison. Ils m’ont donné des numéros, des noms. Je ne sais plus par quel miracle je les ai notés. Peut-être avaient-ils pris la précaution de les noter pour moi. Je ne sais plus.

Je me suis retrouvée dans ma cuisine, sur la chaise rafistolée sur laquelle Eric s’asseyait toujours, effondrée. La dame de la mairie était toujours là. Elle me proposa de l’eau, de prendre en charge mes enfants, de ceci, de cela. Je ne voulais rien d’elle. Je n’étais pas capable de recevoir quoi que ce soit dans cet instant. J’ai fini par lui dire qu’il fallait que je l’annonce à mes enfants, que j’allais me débrouiller. Je voyais qu’elle était émue, qu’elle était sincère. Mais moi, j’étais trop étourdie de douleur pour recevoir son émotion. Tout bouillonnait en moi. L’heure avançait. Eric ne rentrait pas. Il n’appelait pas. Il était mort. L’évidence se faisait une place dans ma tête en dépit de tout mes efforts pour la repousser. Lui qui m’appelait toujours pour des broutilles. « Je pars du dépôt, ma puce, j’arrive dans vingt minutes ». « Je suis à Plauzat, à tout de suite ! Je t’aime. » Le nombre de fois où je lui ai dit de m’appeler plutôt pour me prévenir de ses retards… Le nombre de fois où j’ai râlé pour des trucs anodins, pour le simple plaisir de râler. Le nombre de fois où j’ai été réchauffée par ses appels inutiles…

Il n’appelait pas. Et curieusement, je n’ai à aucun moment eu le réflexe d’appeler sur son portable. Encore une fois, j’avais beau éprouver un déni puissant, une volonté que tout ça ne soit qu’un affreux cauchemar, j’ai tout de suite su que c’était vrai, et qu’il serait inutile d’essayer de contourner l’inéluctable. Peut-être parce que j’avais, en la matière, une expérience dont les cicatrices étaient à peine refermées…

La dame de la mairie est partie. Je me suis retrouvée seule, avec mes petits poussins là-haut qui attendaient de savoir à quelle sauce ils allaient être dévorés. Je pensais à ma sœur, elle aussi orpheline de père, qui passait quelques jours avec nous (elle était arrivée la veille !). Je pensais à ce qu’elle allait subir, revivre. Cela ajoutait à ma certitude qu’Eric était mort. Il se serait battu bec et ongles pour nous tous, et la présence de ma sœur lui offrait un moteur supplémentaire. Jamais il n’aurait fait quoi que ce soit qui puisse la blesser, la bousculer. Des fois, je me dis qu’il doit être sacrément en colère, sacrément malheureux, rien qu’à songer à ce qu’il nous a obligé à traverser malgré lui. Il doit en être mortifié…

J’ai appelé ma mère. Réflexe de petite fille, sans doute. Je savais qu’elle ne pourrait pas grand-chose pour moi, puisqu’elle vit à Paris, mais il fallait que je lui dise, que je lui parle. Il fallait que je ne sois plus totalement seule, que quelqu’un de proche le sache. Et puis… peut-être que tout au fond de moi, il y avait un petit espoir puéril qui envisageait une possibilité de réparation. Ma mère allait pouvoir m’expliquer comment le retrouver, le revoir. M’expliquer que tout ça n’était pas possible. Après tout, ce n’était PAS possible, n’est-ce pas ?!

Je ne me souviens plus de tous les détails. Je me souviens avoir eu conscience que ma voix était trop modifiée pour que ma mère ne comprenne pas immédiatement qu’il s’était passé quelque chose de grave. Mon premier réflexe a été de la rassurer vis-à-vis de ma petite sœur, F. Non, il ne lui était rien arrivé. Puis il a fallu que je lâche les mots. Que je dise l’indicible. Eric a fait un arrêt cardiaque au volant de son car. Eric est mort. J’ai entendu le choc dans la voix de ma mère, dans sa respiration. J’ai même eu peur, brièvement, qu’elle fasse un malaise. Elle a été, avec les gendarmes, l’un des premiers miroirs de ma tragédie. Ces larmes extérieures qui font comprendre que ce qui se passe est gravissime. Qui font comprendre que là, oui, je suis blessée à mort. Qu’en fait, une partie de moi vient de mourir littéralement. Notre avenir ensemble, nos projets, nos souvenirs, notre vie de famille… tout a été balayé, emporté par cette vague immonde, ce tsunami absurde. Fort heureusement, j’ignorais à ce moment-là qu’en plus du deuil m’attendaient encore l’injustice, le cynisme, le dénigrement et l’indifférence…

Je me souviens avoir raccroché avec elle parce qu’il fallait que je m’occupe des enfants. Les grands allaient se douter de quelque chose ; il s’était écoulé bien trop de temps. Je ne voulais pas les laisser dans l’expectative. Je savais qu’ils allaient souffrir, que ça allait être un terrible choc pour eux, alors il fallait que j’atténue au maximum de mes possibilités tout ce qui pouvait leur faire du mal. J’ai fini par raccrocher avec ma mère. J’ai respiré un grand coup, me suis vaguement rafraîchie les yeux, le visage à l’eau froide. Je savais que ça ne servirait pas à grand chose : mes larmes n’avaient de cesse de couler quoique je fasse. Peu importe. Je n’allais de toute façon pas leur cacher ma peine. Au contraire, je savais que j’allais moi aussi être leur miroir. Leur autorisation à la tristesse, leur outil de compréhension. C’est si compliqué de comprendre et d’intégrer la mort, en particulier lorsqu’elle est si soudaine et inattendue. Si improbable.

J’ai ouvert la porte du salon. Tout était encore là. L’ordinateur s’était mis en veille, mais le canapé était défait, mon portable posé, là où si peu de temps plus tôt, nous étions simplement heureux, sereins, en famille, à regarder une comédie musicale en attendant qu’il rentre du travail. Tout aurait dû être simple, calme et joyeux, comme l’avait été notre vie depuis des années. Eric et moi, nous nous aimions dans la tempête, je disais souvent ça. Nous parvenions, sans que je ne m’explique vraiment comment, à transformer les épreuves en moments de calme, de tendresse, de douceur. Certes, notre vie était certainement banale et routinière à pleurer. Mais nous y étions heureux, comme dans un cocon douillet, et rien n’était plus précieux à nos yeux. Si j’avais eu le moindre espoir de pouvoir récupérer ce cocon et cette routine, je me serais battue jusqu’au bout de ma vie…

J’ai ouvert la porte des escaliers, je n’ai pas vraiment eu à appeler les enfants : L. était déjà presque en bas. Je le savais inquiet, mais je savais aussi, à son attitude, qu’il ne se doutait pas un instant de l’horreur qui venait de nous frapper, de ce que j’allais devoir lui annoncer. Comment aurait-il pu ? Son papa, c’était le plus fort du monde… Même à 14 ans. Comment quoi que ce soit pouvait le mettre à terre ? Comment quoi que ce soit pouvait nous l’enlever aussi brutalement, aussi soudainement ?

Je leur ai demandé de venir s’asseoir. Je baissais les yeux. Je me sentais honteuse, immensément coupable, je ne voulais pas qu’ils voient mes larmes tout de suite, qu’ils comprennent. Je pouvais presque sentir leur peur, cette boule dans leur ventre, leurs yeux agrandis lorsqu’ils me regardaient, assis par terre en cercle autour de moi. Jamais encore ils ne m’avaient vue comme ça, aussi débordante de souffrance, incapable de contenir ma douleur, mes larmes. Jamais encore ils ne m’avaient entendue parler avec ces sanglots là étouffant ma voix, tremblante et balbutiante. Je le sais que je leur fais peur, qu’ils « sentent » ce qui vient. Aussi, je décide de ne pas traîner. De leur annoncer un peu comme on enlève un sparadrap. Leur dire vite, avec des mots clairs, sans fioritures, mais calmement et en articulant bien, qu’il n’y ait pas d’incompréhension, rien qui subsiste, aucun doute. Ensuite viendraient les larmes, les consolations. Mais d’abord, il faut que le couperet tombe, et plus il tombera lentement, plus le trauma s’inscrira en eux. Je n’ai jamais étudié la psycho, mais c’est une certitude instinctive que j’éprouve à ce moment-là. Je ne sais pas si j’ai bien fait, mais c’est ainsi que je l’ai fait. Dans ces moments-là, on est si seul, on n’a pas vraiment le temps de potasser les articles ou les podcasts…

Je ne sais plus quels ont été mes mots exacts. J’ai commencé par leur dire que papa avait fait un malaise cardiaque au volant de son car. Puis j’ai dit qu’il était mort. J’ai dû ajouter que j’étais désolée. Car oui, encore aujourd’hui, je suis intensément désolée pour eux. Non que je me sente coupable, mais je suis désolée comme on peut l’être quand quelqu’un de proche ou moins proche subit un drame. C’est une désolation empathique, quelque chose de profondément connecté, humain. D’âme à âme, j’étais désolée pour leur souffrance autant que pour la mienne. De même, je suis tellement désolée pour Eric dont la vie s’est si subitement arrêtée.

Les grands ont pleuré tout de suite. Je les ai pris dans mes bras. F. aussi pleurait, bien sûr, et pour elle aussi, bon sang, comme j’étais désolée. Qu’elle revive ça. Qu’elle entende encore ces mots « papa est mort. » Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu qu’elle ré-entende ces mots-là ?! Ce jour-là, nous avions cinq enfants, nous à qui il en avait toujours manqué un. Et elle avait un papa, elle qui en avait toujours cherché un. Et ce jour-là, nous vivions ce drame comme si notre famille avait toujours été ainsi. On peut me parler de coïncidence, mais j’ai toujours eu beaucoup de mal avec ce concept… Surtout lorsqu’il est aussi poignant, aussi invraisemblable, aussi incroyable.

Les deux petites se sont mises à pleurer un peu à rebours, lorsqu’elles ont reçu la puissance de nos émotions en pleine figure. Je sais qu’à ce moment-là, elles n’avaient pas encore compris. Je sais qu’elles ont pleuré uniquement parce qu’elles ont vu ce fameux miroir. Parce qu’elles ont compris en nous voyant qu’il se passait quelque chose de trop grave, bien trop grave pour elles, pour leurs capacités de compréhension. Nous nous sommes retrouvés à pleurer tous ensemble. Le malheur qui nous a étreint à ce moment-là était indescriptible. Je n’ai pas souvenir, de ma vie, d’avoir souffert autant. Si à ce moment, mon cœur s’était arrêté de battre, cela ne m’aurait absolument pas surprise. Il me semblait même que le fait qu’il continue de battre relevait beaucoup plus du miracle que de la logique. Encore aujourd’hui, lorsque j’écris ces lignes, alors que ça fait près de deux ans qu’il est mort, je ne comprends toujours pas. Comment nos corps peuvent être si résistants, comment on peut continuer à respirer après un tel drame, comment la vie peut se poursuivre malgré tout. C’est une aberration inexplicable à mes yeux, et je n’en ai rien à foutre des gens qui me diront que la vie est toujours plus forte, qu’il y a encore de belles choses à vivre, ou le pire de tous, que rien n’arrive par hasard. La seule et unique petite explication que je supporte vaguement, c’est l’idée de ne pas m’être arrêtée de vivre pour que mes enfants ne deviennent pas résolument orphelins. Parce que je ne pouvais pas les abandonner froidement. Voilà l’unique raison de ma présence dans ce monde aujourd’hui. La seule et unique raison. Il n’y en a aucune autre.

Le reste de cette journée maudite est globalement flou. Tout s’est enchaîné très vite une fois que les enfants ont été au courant. J’ai appelé A., la cousine éloignée d’Eric, que les garçons connaissaient très bien. Il fallait que je la prévienne, et j’espérais un peu que sa présence pourrait soulager mes gars. Puis j’ai appelé le 15 pour parler au docteur qui s’était occupé d’Eric. Je me suis heurtée à la première aberration du système. Lorsque je lui ai parlé de la vaccination qu’il avait subi cinq heures avant sa mort, elle m’a rétorqué immédiatement et très sûre d’elle que ça n’avait rien à voir. « Vous savez madame, des accidents cardiaques, il en arrive tous les jours malheureusement. En plus, on a trouvé du tabac avec lui, il fumait. C’est la clope, ça. Ça peut tuer des gens très jeunes. Et puis il était chauffeur de car, c’est un boulot très sédentaire. Tout ça, ça tire sur le cœur. »

Moi qui suis quelqu’un de globalement très discrète, à ne pas savoir trop entrer en conflit avec les gens, j’ai trouvé ce jour-là un courage inespéré. Je ne pouvais de toute façon pas laisser passer ça. J’ai donc insisté. « Pardon, mais il fumait très très peu, et certes chauffeur de car est un métier sédentaire, mais il n’avait que trente-huit ans. Il n’était pas en surpoids, il faisait du sport par ailleurs, il n’a jamais eu de symptômes ou de signes de fatigue cardiaque, rien. En revanche, il s’est fait vacciner par un produit sur lequel on a peu de chiffres et peu de recul. Je pensais qu’il y avait une veille sanitaire, des remontées de pharmacovigilance, quelque chose. » Elle a alors consenti à signaler sa vaccination sur son dossier. A l’origine, il ne devait pas y avoir d’autopsie, elle avait commencé par me dire que si j’en voulais une (genre, on veut une autopsie…!), ce serait à mes frais ! Je n’avais évidemment aucune idée du coût d’une autopsie, mais je devinais d’avance que ça n’allait pas être gratuit. Juste avant de raccrocher, elle m’a dit que ce n’était pas vraiment dans mon intérêt qu’elle signale la vaccination de mon mari car alors le procureur risquait de bloquer le corps et de m’empêcher de le voir. Je n’en revenais pas de ces tentatives d’intimidation tellement basses, tellement ignobles et indignes. C’était répugnant. J’ai insisté, sûre de moi. Elle a donc signalé la vaccination, le procureur s’est auto-saisi, a posé un obstacle médico-légal, et a ordonné une autopsie. En attendant sa réalisation, effectivement, je n’ai pas eu le droit de le voir.

Par manque de places ou manque de disponibilités (mourir un 26 juillet, c’est sans doute l’un des pires moments avec Noël), l’autopsie n’a pu avoir lieu que le vendredi suivant, soit quatre jours après sa mort. Une fois faite, j’ai voulu procéder à un changement de pompes funèbres, car celles qui avaient été réquisitionnées par les gendarmes étaient très peu professionnelles. Il m’a fallu un temps fou pour récupérer ses effets personnels et tout, d’un bout à l’autre, a été compliqué avec eux. De fait, je n’ai pu le voir au funérarium qu’une semaine après sa mort ! Une putain de semaine ! Une semaine pendant laquelle j’entendais la porte s’ouvrir en bas, comme s’il rentrait à la maison. Une semaine pendant laquelle je me levais à chaque fois que j’entendais une voiture se garer devant chez nous, pour vérifier que ce n’était pas lui. Une semaine à dormir sur le canapé car je ne supportais plus de voir notre chambre. Une semaine à l’attendre, à ne pas y croire, à préparer un enterrement qui me semblait totalement fou, décalé, improbable. Il y a même eu des moments, durant cette semaine, où je n’arrivais plus à être malheureuse, parce que je finissais par être certaine qu’il allait revenir. Tout cela n’était qu’une farce. Tout était impossible. J’allais me réveiller à un moment donné, c’était évident. Ce n’était qu’un immonde cauchemar.

Le cerveau humain est parfois complexe. Le blocage de l’information, de l’acceptation, a duré longtemps. Lorsque, le lundi suivant, je me suis retrouvée devant le funérarium, en compagnie de B., la sœur d’Eric, j’étais totalement perdue dans mes émotions. J’éprouvais une forme de hâte à l’idée de le revoir. Je tentais de me calmer en me martelant le fait qu’il était mort, que ce ne serait plus vraiment lui. J’étais terrifiée par l’idée qu’il puisse être abîmé. L’employée des pompes funèbres m’avait prévenue qu’ils avaient dû coudre ses paupières et sa bouche… Je lui avais demandé si ça se verrait, elle m’avait répondu que oui. Une réponse aujourd’hui incompréhensible pour moi car j’ai passé des jours à imaginer quelque chose d’horrible en mode films d’horreur. Alors qu’en réalité, si on ne le sait pas, ça ne se voit juste pas le moins du monde. D’ailleurs, je ne l’ai pas dit à mes enfants et ils ne m’ont posé aucune question. Je ne crois pas qu’ils s’en soient rendu compte.

Pour le reste, mes souvenirs sont extrêmement flous, voire totalement inaccessibles. Je pense que je me souviendrai toute ma vie du code d’accès au funérarium, mais j’ai presque intégralement oublié les jours et semaines qui sont suivi sa mort et son enterrement. Ce ne sont que des bribes qui me reviennent, parfois sans que je m’y attende :

A., six ans, qui me parle face au corps froid de son père. « Papa ne reviendra pas, maman ? Il ne peut plus se réveiller ? Il ne dormira plus avec toi ? Il ne dansera plus avec toi ? » Moi, effondrée, qui lui répétais en boucle que non, car il était mort. Et B., ma belle-sœur, qui pleurait à côté, sans savoir quoi ajouter non plus.

L’ami qui, dehors, jouait avec C., huit ans, qui n’a pas voulu rester dans le funérarium.

Le choix du cercueil, dans la même entreprise de pompes funèbres que pour notre fille, mais cette fois j’étais toute seule. Ces dates, marquées noir sur blanc, comme une gifle supplémentaire : Eric B. 1982-2021. Ma respiration qui se coupe, l’employée des pompes funèbres qui dissimule ses larmes.

Ses collègues, qui m’ont expliqué ce qui s’était passé. Je me souviens des yeux très bleus de l’un d’eux, des yeux clairs, doux, humides de larmes durant tout l’entretien. Chaque mot qu’il prononçait semblait lui faire mal, il parlait peu, expliquait succinctement ce qui s’était produit : comment il avait vu le car arrêté, comment il s’était lui-même garé pour aller voir ce qui se passait, comment il avait trouvé Eric, inconscient au volant, comment il avait appelé les pompiers, tiré Eric pour l’allonger au sol, mis en position latérale de sécurité jusqu’à ce qu’il cesse de respirer, comment il avait alors entamé des manœuvres de réanimation tandis que les pompiers envoyaient un camion, appelaient le Samu. Je me souviens de la voiture d’Eric qui était garée sur le parking de l’entreprise, les fenêtres légèrement ouvertes à cause de la chaleur. Je ne pouvais pas la récupérer car les effets personnels d’Eric étaient bloqués par l’obstacle médico-légal posé par le procureur. Alors, ses collègues ont installé des protections sur ses fenêtres pour qu’en cas de pluie, l’intérieur de la voiture ne soit pas abîmé.

A tout ces gens, merci…

L’audition à la gendarmerie, l’adjudant qui m’a reçue avec compassion, compréhension, jusqu’à ce que, probablement, il reçoive des ordres contraires et refuse de me reprendre au téléphone. Ses collègues qui me confiaient qu’ils n’avaient jamais vu autant de morts sur la voie publique et de décès soudains. Ces témoignages-là, où sont-ils aujourd’hui ? Plus personne n’a accepté de me parler au bout de quelques semaines seulement.

Je me souviens de la mise en bière, le jour de l’enterrement. J’étais malade de douleur, de chagrin, je ne mangeais plus, ne dormais plus. Ils avaient habillé Eric avec une chemise blanche, les cicatrices de son autopsie se voyaient en transparence. Un immonde V en travers de sa poitrine, digne des plus clichées des séries policières. Ses cheveux qu’ils avaient coiffés, alors qu’il détestait ça. Je l’ai décoiffé d’un geste de la main avant qu’ils ne ferment son cercueil. Je l’ai embrassé une dernière fois. La texture froide, rigide, de sa peau, l’odeur de la mort en dépit du parfum d’ambiance affreux diffusé dans le funérarium. Aujourd’hui encore, il m’arrive de sentir ce parfum, au point d’en avoir la nausée.

Il y avait beaucoup de monde à son enterrement, mais je ne me souviens pas de grand chose hormis d’avoir pleuré. Pleuré, pleuré, pleuré. A ce moment-là encore, je me raccrochais à l’espoir fou que tôt ou tard, la lumière serait faite sur tout ça. Que ce n’était pas possible que les médias refusent de relayer ce genre d’informations, que la pharmacovigilance allait forcément réagir, que le gouvernement serait obligé d’ouvrir les yeux. Je me disais qu’il suffisait que les gens entendent notre histoire pour qu’ils se mobilisent et réagissent. Quelle naïveté ! Alors que sur l’avis de décès diffusé dans le journal local, je n’avais pas eu le droit de mentionner sa vaccination…

Le lendemain de son enterrement, je suis allée à une manifestation anti pass-sanitaire. Il y avait un journaliste de la Montagne qui était présent. Je suis allée le voir mais il a refusé de m’écouter, refusé même de me regarder. Un autre type, qui avait entendu mon témoignage, a insisté, lui a demandé pourquoi il refusait de publier des témoignages puisque c’était ce qu’il recherchait, et le journaliste, toujours sans me regarder, a rétorqué : « son histoire est invérifiable, elle pourrait raconter n’importe quoi ! »

Il faut bien comprendre qu’à ce moment-là, on n’a pas nécessairement les ressources pour se battre. Chaque seconde était pire que la précédente, chaque respiration était brûlante, chaque battement de cœur, une violence. Je m’écroulais d’épuisement pour me réveiller cinq minutes plus tard en larmes, je ne savais plus que faire de mes enfants, de leurs besoins, de leurs mots, de leurs exigences. Il y avait tout à la fois trop de monde et pas assez autour de moi. Je me sentais seule au milieu de la foule, je me sentais comme un morceau d’être humain qui se détachait de la société à laquelle il appartenait, et que personne ne souhaitait retenir. Pire, même, que la plupart des gens préférait voir partir afin de ne pas affronter leurs propres responsabilités, collectives et individuelles.

Je ne me souviens plus du tout du mois d’août. Il me semble que c’est fin août que j’ai rencontré pour la première fois l’avocate qui allait m’arnaquer joyeusement. Je voulais porter plainte, je voulais récupérer le rapport d’autopsie que je ne parvenais pas à obtenir, je voulais que toute cette histoire ait un putain de sens. Je ne souhaitais pas forcément qu’on me conforte dans l’idée que c’était le vaccin qui l’avait tué, mais je voulais que des recherches scientifiques soient faites, je voulais m’assurer qu’il entre bien dans les statistiques de la pharmacovigilances. Je n’en revenais pas de constater à quel point, alors que le sujet était majeur, les décisions étaient prises avec légèreté, sans scrupules, sans concertation, par des gens qui n’avaient jamais rencontré la famille, et qui n’auraient jamais aucun compte à rendre. C’était écœurant.

Bien entendu, j’étais bien décidée à ne surtout pas subir cette injection, ni moi ni mes enfants. Si mon médecin traitant a été très compréhensive, elle s’est cependant heurtée aux limites de la loi, d’une coercition sans bornes : aucun certificat de contre-indication n’était délivrable, à moins de réunir un collège d’experts qui statuerait sur notre balance bénéfice/risque défavorable. Ce collège a été réuni grâce au généticien qui étudiait le cas de notre fille, morte d’un arrêt cardiaque onze ans plus tôt, mais il a refusé de se mouiller et de statuer. De toute façon, aucune mauvaise réponse n’était possible : en l’absence de maladie grave, la vaccination était recommandée, et en présence d’une maladie grave, la vaccination était recommandée. Pratique.

J’ai également écrit au président. Je n’espérais pas grand chose, mais j’avais besoin qu’en haut-lieu, quelqu’un le sache. Je voulais pouvoir me dire que quoiqu’il advienne, j’aurais au moins essayé de prévenir, d’alerter. Une réponse m’est parvenue quelques semaines plus tard, du cabinet d’Emmanuel Macron, invoquant la séparation des pouvoirs et m’expliquant que le cas de mon mari relevait du ministère de la Santé et de celui de la Justice. Mon témoignage leur a été transmis. Quelques semaines de plus ont permis au cabinet d’Olivier Véran de m’envoyer une lettre courte et désespérante de formules ineptes, me promettant de « transmettre le dossier », mais sans préciser vers qui, ni pour quoi. Plus aucune nouvelle de leur part par la suite. Quant au garde des Sceaux, il ne s’est pas manifesté, ni par le biais de son cabinet ni personnellement. Quoi de plus normal, après tout, de la part de monsieur Dupond-Moretti, qui prône une justice devant se tenir au plus loin des émotions humaines. Apparemment, on peut confondre l’impartialité et l’inhumanité et être tout de même ministre de la justice…

Je me suis rapprochée du collectif Verity France, qui a témoigné de plusieurs décès suspects qui, comme pour Eric, ont été soit passés sous silence par les médias, soit décrédibilisés, ridiculisés, critiqués, et pour finir, invisibilisés. Qui se souvient encore aujourd’hui de Maxime, de Frédéric, de Sofia ? Ils sont tous morts dans les heures qui ont suivi leur vaccination. Ils avaient 22 ans, 39 ans, 16 ans… Et comme pour Eric, aucun rapport d’autopsie ne se mouillera à une conclusion décisive, sauf pour mettre en avant des problèmes pré-existants. Ainsi, il semblerait que la prise d’un médicament anodin ou des antécédents d’allergie soient suffisants pour écarter avec une certitude absolue et parfaitement scientifique l’incidence du vaccin sur les décès soudains de ces personnes, pourtant jeunes et en parfaite santé.

Fin septembre, c’est ma belle-mère, la maman d’Eric, qui est brutalement décédée d’un arrêt cardiaque. Pour le coup, elle avait 79 ans et venait de subir un choc considérable. Même si son décès fut un choc, tout le monde le mit sur le compte du chagrin. Oubliant qu’elle aussi avait été vaccinée par Pfizer… Je me souviens de l’enterrement, dans le petit village familial du Forez. Mes émotions étaient pire que sens dessus dessous. J’avais l’impression atroce que tout le monde allait mourir, je vivais une fin du monde personnelle au milieu d’un monde qui continuait d’aller au cinéma, de danser, d’aller au restaurant, et crachait un mépris sans nom sur ceux qui refusaient de se faire vacciner. Ma colère n’avait d’égal que mon impuissance, et je me contentais de serrer les dents, de ne plus écouter les infos, de ne plus acheter les journaux. Ostracisé par la société, mon fils aîné a dû renoncer à des stages, à des sorties scolaires, sans aucune compassion de la part de ses professeurs.

C’est à la mi-novembre, alors que mon avocate me baladait toujours, n’obtenant pas le rapport d’autopsie en dépit des cinq cents euros que je lui avais versés, parlant de faire un dossier amiable auprès de l’Oniam, organisme censé dédommager les victimes et ayant-droits de victimes d’accidents médicaux – alors que ce que je voulais, c’était une vraie action en justice – que, encouragée par un ami, j’ai décidé de faire une demande de logement social et de déménager. Cette maison, dans laquelle nous avions vécu durant dix ans, me rongeait littéralement. Ses affaires, que j’avais laissées à leur place dans l’armoire, le lit dans lequel je peinais à dormir, tous les bruits qui me rappelaient sans cesse qu’il ne reviendrait jamais… Tout me bloquait. Je pensais que ça prendrait du temps, et finalement, j’ai eu une réponse positive très rapidement et début décembre, je savais que j’allais déménager.

Durant des semaines, je ne me suis plus consacrée qu’à ça : trier, jeter, ranger, trier, jeter, ranger. Un grand ménage qui m’a permis d’envisager un peu l’après. Pour la première fois, je faisais quelque chose qui m’entraînait vers une résilience.

A cette même période, j’ai personnellement adressé une demande à la greffière du tribunal de Clermont-Ferrand pour obtenir copie du rapport d’autopsie d’Eric. C’est grâce à mon médecin traitant, mal à l’aise à l’idée de ne toujours pas savoir ce qui s’était passé avec son patient, que j’ai pu, enfin, mi décembre, obtenir ce fameux rapport d’autopsie. Pendant ce temps-là, mon avocate glandait avec mes cinq cents euros qu’elle m’avait sous-tirés…

Le rapport d’autopsie faisait état d’un arrêt cardiaque soudain. Si soudain qu’il était impossible de dire s’il était la conséquence d’un infarctus ou d’une arythmie. Des anticorps « anti-héparine », retrouvés chez les patients ayant fait des thromboses, ont été identifiés chez lui, mais le médecin légiste a décidé qu’ils n’avaient pas eu d’incidence sur sa mort. Je n’ai aucun moyen de vérifier l’objectivité scientifique de cette assertion. Là encore, c’est pratique… La conclusion était la suivante : il est impossible d’établir un lien certain avec le vaccin. Dans le doute, le vaccin est innocent… Le principe de précaution n’existe donc plus.

De son côté, ma belle-sœur, pharmacienne, faisait des recherches de pharmacovigilance. Elle a appris que le dossier de son frère avait été classé sans suite par les médecins de la veille sanitaire, arguant qu’il s’agissait d’un patient avec un « contexte familial altéré ». De manière parfaitement infâme, ils sont allés chercher le dossier de notre fille, morte en 2010, pour justifier la mort de son père et ne surtout pas remettre en cause le vaccin ! Et quoiqu’il en soit, même s’il s’avérait qu’une fragilité cardiaque touche vraiment la famille, comment passer à côté d’une éventuelle contre-indication ?! D’autant plus que les cas de myocardites, qui explosaient littéralement à ce moment-là, ont depuis été reconnus comme effets secondaires du vaccin ! Comment passer à côté d’un possible effet létal sur mes enfants, et sur d’autres personnes qui porteraient des fragilités similaires ? Qui prend de telles décisions, et surtout, qui les assume ?! Si mes enfants avaient finalement décidé de se faire vacciner et étaient morts, qui aurait été responsable ? Comment est-ce possible qu’aujourd’hui, une telle dilution des responsabilités existe, au point que n’importe quel avis peut être rendu sur n’importe quoi, faisant courir des risques vitaux, majeurs, à un nombre certains de gens, sans que quiconque ne puisse être inquiété de quoi que ce soit?!

De fait, en dépit du signalement et des doutes plus que persistants, Eric a été exclu des chiffres des effets secondaires potentiels graves du vaccin. La potentialité même de l’incidence du vaccin sur sa mort a donc été refusée, empêchant par la même occasion toute recherche ultérieure, ce qui représente une faute majeure et un mensonge supplémentaire quant aux promesses de surveillance étroite des effets de la vaccination.

Encore une fois, je le répète, et je le répétais déjà à l’époque : je ne cherche pas à ce que le vaccin soit absolument responsable de la mort de mon mari. Mais tant qu’aucune recherche scientifique n’aura été faite, tant que les victimes potentielles du vaccin resteront invisibilisées, j’estimerais que le travail de veille sanitaire n’est pas fait, et que la mort de mon mari est potentiellement due au vaccin. Ce que je veux, ce sont des réponses, ou au moins, une considération, une reconnaissance, et des recherches. Objectives et libres de tout conflit d’intérêt.

Mi-janvier, j’ai enfin déménagé dans la ville d’à côté. Par la même occasion, j’ai eu le Covid. Mon avocate, à qui j’ai demandé des comptes pour ne pas avoir réussi à obtenir le rapport d’autopsie que j’avais pu obtenir en quinze jours sur simple lettre recommandée, me réclame cinq cents euros de plus pour l’ouverture du dossier à l’Oniam. Je laisse ses lettres de relance envahir ma corbeille. Hors de question que je paye un euro de plus à cette voleuse, qui n’hésite pas à gruger la veuve et l’orphelin ! Comment se voient-ils dans un miroir, ces gens-là ? Ils se donnent la main avec les médecins de la pharmacovigilance, ma parole ! En attendant, je n’ai plus d’avocat et plus foi en personne. Je ne sais plus vers qui me tourner. Je n’ose contacter qui que ce soit, de peur d’avoir encore à sortir des sommes astronomiques pour rien. Les récupérations politiques m’inquiètent également, de même que la décrédibilisation constante du gouvernement qui m’exaspère. Je suis à bout de forces.

Mais le fait d’avoir attrapé le Covid m’offre au moins un fichu pass sanitaire. Je peux retourner au restaurant, refaire de la danse. Je retrouve des amis. Ça fait du bien.

Pour autant, survivre n’est pas une évidence. Avoir enfin rencontré cette fichue maladie dont on nous parle depuis si longtemps, ce n’est curieusement pas anodin pour moi. Je n’ai pas honte d’avouer le fait que j’ai espéré en mourir, que j’ai espéré que ce truc serait vraiment atroce, qu’il me mettrait à terre. Il n’en fut rien. J’ai eu une grippe, voilà tout, une grippe que mon état dépressif dû à la mort de mon mari a un peu aggravée. Guérir du Covid, paradoxalement, fut l’ultime trahison que la vie me fit, fit à Eric, et la sensation, tout au fond de moi, que décidément, nos gouvernants s’étaient sans doute un peu emballés, et que les conséquences hospitalières du Covid était peut-être beaucoup plus une question de politique de santé publique, avec la fermeture de nombreux lits, la réduction du personnel, la non valorisation des salaires, le manque d’attractivité des métiers, la non reconnaissance étatique, le glissement vers le privé, et ainsi de suite. Bien sûr, je ne nie pas les morts qu’il y a eu, et je ne me permettrais pas d’établir des statistiques empiriques, ni de m’enfoncer dans un covido-scepticisme bien confortable. Mais il me semble que toutes les vies humaines devraient avoir la même importance, et il y a quelque chose que je ne comprends pas : pourquoi les morts du Covid semblent avoir eu plus d’importance que les morts du vaccin ? Pourquoi, quand quelqu’un faisait un arrêt cardiaque après avoir été testé positif au Covid, on le déclarait mort du Covid, alors qu’un homme de trente-huit ans, en pleine santé, qui fait un arrêt cardiaque cinq heures après l’administration du vaccin n’est pas mort du vaccin ? Pourquoi toute la nation s’est soudée dans un formidable élan de solidarité pour éviter la propagation d’une maladie à la létalité peu élevée (c’est tout de même aujourd’hui reconnu, le taux de létalité officiel est de 0,5%), alors que par ailleurs, les victimes potentielles du vaccin n’ont eu droit à aucune considération ?

Je ne sais comment avancer dans ce témoignage sans parler de ma peine, de ma douleur, sans parler de l’immensité de ma souffrance. Sans tenter de poser des mots sur ce qui, jusqu’ici, m’a fait défaut : expliquer la mort de l’amour de ma vie.

Le 12 avril 2022, cela faisait pile 20 ans que nous avions échangé notre premier baiser, devant la patinoire dans laquelle nous étions tous deux licenciés, une passion commune qui nous avait rassemblés. Le 12 avril 2022, c’était aussi mes trente-quatre ans, et ce fut, avec le 26 juillet 2022, soit l’anniversaire de sa mort, l’un des caps les plus difficiles, les plus glauques, les plus terribles que j’ai eu à franchir. Ce moment de ma vie où une brèche s’est ouverte, une faille ; cette sensation que j’ai eu, soudain, que j’avais vraiment un choix à faire entre vivre ou mourir. Ce moment où rester en vie est passé de quelque chose de passif (me laisser simplement porter par mon cœur qui bat) à quelque chose d’actif (empêcher ma tête, mon cœur, mon corps de m’auto-détruire). J’ai eu tant de fois envie, besoin, viscéralement besoin, que la souffrance s’arrête. Tant de fois envie de tout oublier, d’être frappée d’une terrible amnésie. Tant de fois la certitude que s’il fallait en passer par la mort pour le revoir, ce n’était vraiment pas un obstacle infranchissable à mes yeux.

Il y a eu tant de fois où respirer me semblait infiniment plus difficile et violent que mourir.

J’ai tenu grâce à mes amis, grâce à un soutien aussi présent que possible. Mais je n’ai pas vécu. J’ai survécu. Depuis le 26 juillet 2021, je survis. Sans réponse, sans considération, avec une rente d’accident du travail au montant risible, qui m’est versée uniquement parce qu’il est mort au volant de son car, et que la loi, en l’occurrence, était incontournable.

Je vis dans l’angoisse d’un retour du vaccin, dans l’angoisse que les vaccins à ARN messager soient généralisés (ce qui a l’air de se profiler) sans savoir si c’est la technologie de ces vaccins qui est à l’origine des effets secondaires graves ou si c’est autre chose. Je n’y connais rien, je ne me prétends pas médecin ou scientifique. Je voudrais que ceux qui détiennent ces connaissances aient la curiosité scientifique de chercher les réponses, aient la déontologie qui s’éveille.

Après avoir reçu le rapport d’autopsie, j’ai demandé l’autorisation de rencontrer le médecin légiste qui a procédé, autorisation qui m’a été accordée. Ce médecin nous a avoué, à moi et à l’ami qui m’accompagnait, qu’il n’y avait pas de protocole spécifique de recherche pour les accidents post-vaccinaux, que rien n’avait été mis en place par l’État. Elle nous a clairement spécifié qu’aucune recherche ne serait enclenchée, « à moins qu’il y ait 100 000 morts ». Ce sont ses mots, et même si je peux envisager le fait que ce furent des mots maladroits d’une personne mal à l’aise et prise dans l’émotion, peu habituée à devoir rendre compte de son travail aux survivants de ses patients, quelque chose me souffle qu’elle a parfaitement raison. Et que c’est cela qui est révoltant. Il y a eu 139 640 décès imputés au Covid en France… Aurait-il fallu qu’il y ait autant de morts du vaccin pour qu’on se décide à ouvrir un œil, à faire notre devoir de citoyen ? En outre, ce médecin n’a fait qu’obéir à la demande du procureur, à savoir chercher la cause de la mort. Arrêt cardiaque. Point. Le fait de chercher les causes de l’arrêt cardiaque ne figurait pas dans sa feuille de route, aussi n’a-t-elle fait aucune analyse complémentaire. Sur son bureau, lorsqu’elle m’a reçue, il y avait un porte-trombones estampillé Pfizer…

Aujourd’hui, qui peut nier, en voyant les rémunérations mirifiques des actionnaires de Pfizer, ainsi que les investissements faits, que la toute-puissante et redoutable finance n’a pas parasité les prises de décisions gouvernementales ? De plus en plus de livres, documentaires et témoignages font état de cette réalité. Que faudra-t-il pour nous lever contre ça ? Contre la rentabilité de la santé au risque d’assassiner des gens ! Contre les « cadeaux » des laboratoires aux médecins, contre le lobbying visant les députés, contre les marges colossales, contre les clauses de déresponsabilisation…

Ces réponses sont nécessaires, me semble-t-il, à la poursuite sereine d’une société comme la nôtre. Ma volonté, par ce récit, était donc de témoigner. Ni plus ni moins. D’apporter un peu de voix, de présence aux potentielles victimes du vaccin. Afin que la science s’empare enfin de cette potentialité et que les recherches soient menées pour tenter avec le plus d’objectivité possible, d’éluder les nombreux mystères qui éclaboussent du sang d’innocents, victimes directes ou indirectes, le tableau idyllique de la vaccination de masse vendu par des dirigeants aux complaisances coupables vis-à-vis des industries pharmaceutiques.
Il ne s’agit pas de dire qu’il ne faut plus vacciner, seulement d’apporter un peu de réalité humaine aux chiffres officiels, comme l’a si longuement fait Irène Frachon avec le scandale du Mediator. Il est aisé d’avoir de bons résultats lorsqu’on efface les mauvais…

Je ne souhaite prendre aucune position définitive ou absolue. Je ne suis ni médecin, ni scientifique, ni statisticienne. Tout juste pourrais-je me prétendre être un peu politique car je pense que tout.e citoyen.ne l’est. En revanche, je suis la veuve d’un homme de trente-huit ans qui s’est effondré en pleine force de l’âge cinq heures après sa vaccination anti-covid. Un homme dont la mort foudroyante n’a, comme élément déclencheur possible, que cette injection. Je ne demande que deux choses : être reconnue et que les réponses à mes questions soient, à défaut d’être trouvées, au moins cherchées. Je tiens, à cet égard, à préciser pour ceux qui pensent que les réponses à mes questionnements légitimes pourraient ne jamais être trouvées, qu’il a été récemment parfaitement et scientifiquement reconnu par l’ANSM que les cas d’hypertension artérielle, de myocardites et péricardites et de saignements menstruels importants avaient été reconnus comme effets secondaires avérés.

Les réponses ne se trouvent probablement pas si loin et ce qui nous en sépare n’est apparemment pas tant une limite scientifique qu’une volonté politique…

Merci, donc, d’avoir lu mon histoire. Elle ne vaut pas plus que celle d’une victime du Covid. Elle ne vaut pas moins non plus.


46 réponses à “Chronique d’un dommage collatéral”

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